« C’est la caverne de Platon ! Platon décrivait des gens nés dans une grotte très sombre dont ils n’étaient jamais sortis. Cette caverne était leur univers et bien que glauque, elle leur était familière donc rassurante. Ils refusaient obstinément de mettre le pied dehors car, ne connaissant pas l’extérieur, ils se l’imaginaient hostile, dangereux. Il leur était impossible de découvrir que cet espace inconnu était en fait empli de soleil, de beauté, de liberté… »
Les dieux voyagent toujours incognito - Laurent Gounelle
Ça commence douloureusement lorsque nous décidons de faire une expérience dans la matière. A peine l’étincelle de la conception amorcée, les dégâts commencent. Le sentiment de plénitude va disparaître rapidement et le programme de survie est en cours d’installation.
Cela pourrait nous paraître totalement surréaliste d’avoir choisi de venir nous incarner si, à ce moment-là, nous avions eu conscience de la globalité de l’expérience, si nous nous étions rappelés d’où l’on vient. Heureusement ici l’amnésie est salutaire, elle nous évite le choc des comparaisons.
Nous allons très vite éprouver ce que maman ressent :
Ses émotions, ses peurs, ses doutes et ses projections à notre égard. Nous aurions pu être différents, prometteurs de nouveauté, mais le tissage de nos manques commence déjà, implacablement, et la joie et l’innocence disparaissent si vite que l’on pourrait se demander si elles ont déjà existé…
La naissance nous annonce la même suite, douloureuse, comme pour nous donner un avant-goût de ce qui nous attend. Le programme de survie est désormais installé : il va falloir manger, ne pas avoir froid, être aimé, reconnu, pour ne pas sombrer dans la peur, la dépression, le sentiment de ne pas faire partie de ce monde.
Nous allons fonctionner sur le mode aléatoire : je suis bien / je suis mal, dépendant de maman et de ses soins et très vite du regard que les autres vont poser sur nous, de leur validation pour nous sentir à peu près légitimes pour continuer.
Vers quoi ?
Vers l’inéluctable moment où nous disparaîtrons. Ce que nous allons tenter d’ignorer, autant que la vie nous le permettra.
Nous allons faire comme si…
Mais nous savons que l’équilibre est fragile, il suffit que la personne aimée nous quitte, d’un deuil douloureux, d’une trahison, d’un accident ou d’une maladie pour prendre la mesure de la temporalité du monde confortable qui nous entoure. Alors, que penser du sens de nos existences ? La vie même a-t-elle un sens ?
C’est bien-sûr ce que nous souhaitons tous dans le plus grand secret de notre cœur, que notre existence ne soit pas vaine, que son sens nous soit dévoilé un jour, que la paix et la félicité soient au rendez-vous, si possible avant que nous soyons morts. Nous avons le sentiment confus que la vie passe sans nous révéler l’essentiel, que le sens de notre vie nous échappe et pourtant, nous ne connaissons pas d’autres façons de fonctionner, jalousant même ceux qui ont l’air d’oser plus que nous.
Mais comment oser ? Comment plonger littéralement dans notre vie ?
Comme nous souhaiterions tous vivre cette joie et cette plénitude de notre vivant ! Ce qui donnerait non seulement sens à notre existence mais à l’ensemble et à l’univers entier. Et si nous pouvions reprendre là où nous avions eu l’intention de commencer, au moment de l’étincelle de l’incarnation, quand tous les possibles existaient… Pour limiter les dégâts, il aurait fallu lorsque nous étions enfant, que Papa et Maman nous aient considérés avec les yeux de « l’amour absolu » pour que nous ne soyons pas contraints de mettre un système de protection compact entre les autres et nous. Cela nous aurait évité d’être en permanence dans un système de défiance et de défense. Mais n’ayant pas eu eux-mêmes, durant leur enfance, le sentiment d’être aimés par leurs parents de façon inconditionnelle, ils n’ont pas pu faire autrement. Et s’ils ont été aimants, ont-ils eu le talent de nous le faire savoir ?
Ont-ils su aimer sans condition, sans attente, sans transférer leurs manques affectifs ?
Ont-ils été libres de toutes projections et avaient-ils les mots pour dire leur amour ?
L’absence d’accueil de nos dissemblances par les parents va nous empêcher de nous reconnaître en tant qu’être légitime et nous allons mettre en place des stratégies pour vivre avec la croyance que nous devrions être quelqu’un d’autre.
Sacrée blessure !
Ainsi, nous nous voyons comme des usurpateurs, des coupables, des « pas assez bien ».
« Si papa, maman ne m’aiment pas comme j’en ai besoin, alors j’en déduis que je n’ai pas fait ce qu’il faut pour le mériter, que je ne suis pas intéressant tel que je suis ». L’arrivée du petit frère ou de la petite sœur nous fera conclure qu’effectivement, nous ne sommes pas assez bien pour combler les désirs de nos parents, sinon, pourquoi faire un autre enfant ? Avons-nous eu envie nous d’une deuxième maman ou d’un deuxième papa?
L’appréhension des situations est bien différente entre l’enfant et l’adulte et nous tissons la plupart du temps des relations avec des compréhensions limitées et des interprétations souvent erronées. L’enfant que nous étions a fait la traduction des évènements majeurs de sa vie, le nouveau-né peut vivre sa naissance comme un abandon ou un rejet de la part de sa mère. La même situation sera comprise de manière bien différente entre la mère et son enfant.
La peur a de nombreuses occasions de s’inviter chez nous et très vite, suivie de la culpabilité, de la honte, de la colère et de la tristesse. Toutes ces émotions nous coupent de la joie et du plaisir d’explorer la vie. Le libre ressenti exprimé s’est tu, il a été remplacé par un besoin permanent de protection, de reconnaissance et d’amour envahissant et d’une justification presque constante.